Interview de Patrick Godeau, rédacteur de la licence IANG 28 Avril 2006

IANG (pour IANG Ain’t No Gnu) est une nouvelle licence libre, de type copyleft, qui propose à ses licenciés un nouveau mode de coopération. Bien plus qu’une simple licence, IANG énonce une nouvelle valeur : la transparence économique.

Cette transparence a pour vocation d’offrir un outil démocratique pour la gestion économique des œuvres.

Destinée à toute création, IANG ne se limite ainsi pas simplement aux logiciels ou aux arts. IANG est une licence générale qui peut s’appliquer aussi bien dans le domaine industriel que littéraire ou artistique.

Q IANG est une nouvelle licence libre, pourriez-vous la situer dans son contexte ?

La licence IANG est issue d’une réflexion sur les insuffisances des licences libres actuelles. La définition généralement admise du logiciel libre (les quatre libertés que sont l’utilisation, l’analyse, la modification, la distribution du logiciel) remonte aux années 1980 avec le projet GNU, et les bases juridiques en ont été posées avec les licences BSD et GNU GPL en 1989. À cette époque, Internet en était à ses balbutiements, et Richard Stallman gagnait sa vie en vendant des cassettes de GNU Emacs à 150$. Vers 2001, alors que la diffusion (légale ou non) sur Internet de créations de tous genres était généralisée, l’initiative Creative Commons mettait à disposition des auteurs (mais pas des programmeurs) un choix de licences permettant d’accorder différents droits aux utilisateurs, en distinguant en particulier l’utilisation commerciale autorisant l’exploitation sans limite de la création, et l’utilisation non commerciale interdisant toute forme de profit.

La licence IANG, née en 2004, veut intégrer mais aussi dépasser ces différents concepts. Contrairement à ce que son nom (IANG Ain’t No GNU) pourrait laisser penser, IANG ne s’oppose pas à GNU, mais au contraire en étend à la fois les libertés et les domaines d’application. D’abord, la licence s’applique à tous les types de créations, non seulement les œuvres artistiques et les logiciels, mais aussi les productions techniques relevant du droit des brevets. Ensuite, elle confère des droits économiques aux utilisateurs, en offrant une solution différente de l’alternative entre commercial et non commercial, qui consiste à autoriser le commerce à condition qu’il soit transparent et participatif. Enfin, la licence IANG attribue des droits démocratiques, en donnant à chaque contributeur une voix dans le projet auquel il participe, et à chaque acheteur ou donateur une voix dans le projet qu’il finance. En résumé, aux quatre libertés définies par GNU, IANG en ajoute trois nouvelles: pour chacun, la liberté d’accéder aux comptes de chaque distribution commerciale; pour les clients, la liberté de participer aux choix économiques; pour les auteurs, la liberté de participer aux choix de développement.

Q Comment le projet de cette licence est-il apparu ? Qui est à l’origine ?

J’ai commencé à réfléchir sur cette question de licence vers 2001, quand j’ai voulu diffuser certaines créations sur Internet. La Licence Art Libre, qui était sortie depuis peu, me convenait dans sa philosophie générale, mais me contrariait par certains aspects, en particulier sur le plan économique. J’étais surtout gêné par la contradiction fondamentale entre les valeurs d’ouverture, de partage, d’entraide pronées par le copyleft, et l’opacité, la cupidité, la concurrence qui sont les règles de l’économie de marché, pourtant entérinées et même encouragées par les licences dites libres. À la suite de discussions, notamment avec des membres de Copyleft Attitude, je suis parvenu à la conclusion qu’aucune licence existante ne répondait à l’idée que je me faisais de la liberté d’une création, et je me suis donc attelé à la rédaction d’un manifeste et d’une nouvelle licence. N’étant pas juriste, j’ai eu recours aux services de Mélanie Clément-Fontaine, spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, qui a assuré une relecture juridique de la licence.

Q IANG se place sur le marché des licences libres, déjà « fortement » marqué (GPL, CeCILL, BSD, MIT, CC), pourquoi proposer aujourd’hui une nouvelle licence ?

Il y a certes un nombre important de licences libres (qui est cependant faible par rapport au nombre de licences propriétaires) mais celles-ci sont pour la plupart assez similaires quant aux libertés conférées (les fameuses quatre libertés) et diffèrent essentiellement par leur traitement du copyleft (c’est-à-dire la transmission des libertés aux versions modifiées ou distribuées).

La licence IANG propose quant à elle de nouveaux domaines d’application («propriété» littéraire, artistique, industrielle) et de nouveaux droits (les droits d’accéder à la comptabilité, de participer aux choix économiques, de participer aux choix de développement) qui ne sont couverts par aucune autre licence libre, même si on peut citer la Design Science License et la Democratic Software Public License. Il ne s’agit donc pas seulement d’une nouvelle licence, mais aussi d’un nouveau concept, que l’on peut appeler «création équitable», ou «fairware».

Q A qui s’adresse IANG ? Quels types d’œuvres, de projets ?

La licence IANG peut être utilisée pour tout type de création soumise à la «propriété» intellectuelle ou industrielle. Si vous avez programmé un logiciel, écrit un article ou un roman, composé une musique, réalisé un film, découvert un médicament, inventé une machine, dessiné un plan d’architecture, un vêtement ou une BD, bref, si vous êtes un auteur au sens du droit d’auteur ou du droit des brevets, alors vous pouvez diffuser votre œuvre sous cette licence.

Aujourd’hui, la «propriété intellectuelle» occupe une part de plus en plus large de l’économie, et son emprise s’étend à tous les domaines imaginables. De plus, les contenus du monde multimédia sont de plus en plus entremêlés, et des ponts sont jetés entre les arts, les sciences, l’informatique, etc. C’est pourquoi la réponse de la communauté libre ne doit pas être catégorielle, mais fédérer des créateurs de toutes disciplines.

IANG peut intéresser plus particulièrement les projets collectifs dans lesquels une participation démocratique est désirée, ainsi que les projets souhaitant un financement transparent basé sur les dons des utilisateurs. Mais on peut cependant parfaitement utiliser IANG pour des créations individuelles et non commerciales.

Q Quel est l’âge de la licence IANG ?

La date de naissance officielle de la licence IANG est le 8 novembre 2004.

Q Qu’en est-il de IANG par rapport aux autres licences ? Est-elle reconnue par l’OSI ou la FSF ?

Soumettre IANG à l’approbation de l’OSI ou de la FSF est pour l’instant hors de propos, car son but est justement de dépasser le concept de logiciel libre tel que défini par ces institutions. Cela dit, il n’est pas exclu a priori que IANG réponde aux critères de l’Open Source Definition.

Q Quelle valeur juridique pour IANG ? Au point de vue français, international ?

La licence a été validée par Mélanie Clément-Fontaine, juriste, doctorante en droit de la propriété intellectuelle (et par ailleurs auteure de la Licence Art Libre et d’un mémoire sur la GNU GPL). Bien que rédigée en conformité avec le droit français, la licence IANG est valable pour tous les pays dotés d’un régime de propriété intellectuelle, c’est-à-dire la quasi-totalité.

Q Quels sont les recours en cas de manquement à la licence ? Si je découvre qu’un logiciel placé sous licence IANG a été détourné ? Et quelle est la position du projet IANG dans un tel cas ?

Comme toutes les autres licences libres, IANG est basée sur le droit d’auteur. Ce sont donc l’auteur ou ses ayants droit qui ont la capacité légale de faire respecter la licence. Si un cas de manquement se présentait, il conviendrait donc d’abord de le signaler aux auteurs, qui pourraient intenter des poursuites si nécessaire. Le projet IANG n’est pas un cabinet d’avocats, mais même si c’était le cas, il ne pourrait pas porter plainte à moins d’être lui-même détenteur des droits de la création détournée.

Q IANG est-elle compatible avec d’autres licences ?

Si les autres licences n’incluent pas de clause déniant une des libertés accordées par IANG ou enfreignant une de ses obligations, alors elles peuvent a priori être compatibles. C’est par exemple le cas des licences libres non copyleft du type BSD ou MIT. Par contre une licence comme GPL (ou CeCILL qui est similaire) n’est pas compatible, non pas parce qu’elle serait fondamentalement en contradiction avec les libertés de IANG, mais parce que GPL (tout comme IANG) est une licence héréditaire: toute fusion avec un logiciel sous GPL doit rester sous GPL, à l’exclusion de toute autre licence.

Q Peut-on faire cohabiter IANG et d’autres licences (GPL, CeCILL, APACHE,…) ?

S’il s’agit de distribuer une même création sous plusieurs licences différentes, selon le destinataire, c’est possible dès lors que l’on détient les droits de la création. On trouve ainsi des développeurs proposant un même logiciel sous licence GPL et sous licence propriétaire, ou des musiciens diffusant leurs œuvres en CC-BY-NC sur les réseaux P2P tout en monnayant leurs droits d’auteur à des producteurs. Cette stratégie permet aux auteurs de pouvoir tirer un profit économique de leur travail en évitant une appropriation des bénéfices par des intermédiaires, mais on peut remarquer ici que les droits économiques de la licence IANG offrent une autre solution qui évite cette schizophrénie entre libre et propriétaire.

Q IANG est-elle contaminante, et pourquoi ?

Je trouve ce terme impropre. D’une part il sous-entend que la liberté serait une maladie, ce qui est regrettable de la part de défenseurs des licences libres. D’autre part il prête à confusion en faisant croire que la licence se transmettrait à des créations distinctes, ce qui est faux:
IANG s’applique seulement lorsqu’il y a fusion ou inclusion délibérée d’une création sous IANG.

Disons donc plutôt que IANG est héréditaire. Les libertés attachées à la création doivent être transmises à chaque modification ou diffusion de celle-ci, et aucun intermédiaire ne doit pouvoir les dénier à autrui. C’est le principe du copyleft, et la façon la plus simple d’appliquer ce principe est de transmettre la licence avec toute création dérivée.

C’est aussi l’approche de la licence GPL. Mais il faut noter qu’à la différence de GPL, IANG requiert certaines dispositions des distributions commerciales (la publication des comptes et la participation des acheteurs et donateurs aux choix économiques) qui s’appliquent à la totalité du produit ou service incluant la création sous IANG.

Au delà de l’aspect juridique, le copyleft est bien sûr une question philosophique: est-ce que dénier la liberté d’autrui est une liberté? Doit-on défendre par exemple la liberté de posséder un esclave? Pour IANG, il ne s’agit pas là d’une liberté à défendre, mais d’un pouvoir à bannir. Pour citer Richard Stallman, «si nous confondons le pouvoir et la liberté, nous échouerons à défendre la vraie liberté».

Q Comment est perçue IANG par les autres licences ? L’OSI, la FSF, la CeCILL, les CC ?

Il faudrait leur poser la question, mais je ne pense pas qu’ils en aient encore entendu parler.

Q Peut-on aujourd’hui tirer un bilan de la diffusion de cette licence ? Comment est-elle perçue ?

Il est trop tôt pour cela, d’autant plus que le projet IANG ne s’est pas encore donné les moyens de la visibilité. Il est vrai que je ne dispose actuellement que de très peu de temps à consacrer au prosélytisme, mais j’espère malgré tout que cet entretien contribuera à faire connaître IANG.

Q Avez-vous une idée du nombre d’œuvres aujourd’hui placées sous la licence IANG ?

IANG étant aujourd’hui encore une licence confidentielle, elle n’est pas encore utilisée à ma connaissance bien qu’un certain nombre d’auteurs aient déjà exprimé leur intérêt.

Q Quels sont les avantages/inconvénients de la licence IANG en regard de :

GNU GPL ?

La licence IANG est prévue pour être appliquée à tout type de création, alors que GPL a été conçue seulement pour les logiciels. (Bien que GPL ait déjà été détournée pour d’autres usages, elle contient des termes tels que «software», «program», «source code», «object code», «executable», qui restent inappropriés à d’autres contextes que le logiciel.) On peut aussi évoquer les contenus multimédias de plus en plus présents dans les logiciels.

GPL oblige les auteurs qui veulent vivre de leur travail à diverses contorsions, consistant souvent à mêler du propriétaire au libre. Si le copyleft GPL empêche toute appropriation du code source par des intermédiaires, il n’empêche en rien l’appropriation du bénéfice économique par ces mêmes intermédiaires. La licence IANG ne garantit aucunement un revenu aux auteurs, par contre elle garantit qu’aucun intermédiaire ne pourra s’approprier un bénéfice sans l’accord des acheteurs et donateurs. On peut appeler cela «copyleft économique».

IANG permet à chaque auteur contribuant à un projet de participer démocratiquement à ce projet. GPL autorise aussi un fonctionnement démocratique, mais ce n’est pas un droit, juste une possibilité, et de fait un certain nombre de projets sont gérés de façon hiérarchique voire autocratique (sur le modèle du «dictateur bienveillant»). En effet, GPL définit seulement des libertés individuelles, alors que IANG les complète par des libertés collectives, indispensables pour des projets logiciels qui regroupent de nombreux collaborateurs.

IANG permet aussi de mieux tracer et différencier les versions dérivées, en requérant leur distribution sous un nom différent et une référence à la version originale, alors que les versions non modifiées doivent garder le même nom.

CeCILL ?

Mêmes commentaires que pour GPL à laquelle CeCILL est inféodée.

BSD ?

BSD permet à n’importe qui de supprimer les libertés d’un logiciel libre. Les éditeurs de logiciel propriétaire adorent ce genre de «liberté» (voir par exemple la pile TCP/IP dans Windows basée sur du code BSD, ou Mac OS X dérivé de FreeBSD). Au contraire, IANG, tout comme GPL, garantit que toute création libre restera libre.

Du point de vue économique, par contre, IANG joue dans une autre catégorie que GPL et BSD qui, l’une comme l’autre, encouragent l’appropriation du bénéfice au détriment des auteurs.

Malgré tout, une licence à la BSD peut avoir un intérêt si le but est de vouloir diffuser le plus largement possible un protocole ou un format de fichier, plutôt qu’un programme. Ainsi, des développeurs de formats audio ou vidéo «alternatifs» auront intérêt à distribuer des codecs sous une licence très libérale, alors que des lecteurs multimédias pourront être distribués sous une licence copyleft.

CC ?

Creative Commons n’est pas une licence, mais pas moins de 6 licences différentes (sans compter les anciennes versions). Ce choix est appréciable du point de vue de l’auteur, mais pour l’utilisateur il peut être source de confusion en faisant passer pour libres des licences qui ne le sont pas (notamment celles qui interdisent les travaux dérivés).

Concernant le commerce, les CC proposent deux options: soit tout autoriser, soit tout interdire. Dans un cas, tout le pouvoir économique est détenu par l’éditeur, et dans l’autre, il est réservé à l’auteur.
Pour IANG, aucune de ces options n’est satisfaisante, et c’est pourquoi la licence IANG propose un modèle économique plus conforme à l’esprit du don qui fonde le copyleft, en garantissant que l’économie de la création sera contrôlée par le public.

Les CC ne sont pas prévues pour les logiciels (elles n’ont pas de notion de code source). La licence IANG est adaptée à tout type de création, et elle définit la notion générale d’information technique, par exemple le code source pour un logiciel, la formule chimique pour une molécule, etc.

Du côté des avantages, on peut apprécier le didactisme de Creative Commons (il est vrai qu’avec 2 millions de dollars de subvention, ils peuvent se permettre d’être forts en marketing) et l’idée des métadonnées RDF qui permettent une inclusion dans les moteurs de recherche.

Licence Propriétaire ?

Du point de vue moral, j’aurais du mal à trouver des avantages aux licences propriétaires, qui perpétuent un modèle antisocial de dépendance de l’utilisateur, un modèle qui tend hélas à se répandre dans d’autres domaines (par exemple l’industrie automobile ou pharmaceutique). Mais du point de vue économique, j’aurais aussi du mal à ignorer que le marché est une jungle où la protection des investissements impose souvent des entorses à la morale. C’est ici que la licence IANG vient à la rescousse, en sortant l’économie de la création hors du marché pour la placer sous le contrôle du public.

Q Comment convaincriez-vous un développeur, ou un auteur, d’opter pour la licence IANG ?

Le droit d’auteur est un «droit négatif», c’est-à-dire qu’il octroie à l’auteur et ses ayants-droits un pouvoir quasi-absolu et exclusif, le pouvoir d’interdire à quiconque de reproduire, modifier ou distribuer sa création. Renoncer à ce pouvoir n’est pas un acte anodin. J’invite l’auteur qui pose cet acte à réfléchir aux raisons qui le motivent.

Souhaite-t-il qu’un intermédiaire puisse modifier sa création, et ensuite la redistribuer en interdisant aux autres de la modifier à leur tour, exerçant ainsi le pouvoir auquel il a lui-même renoncé? Alors peut-être optera-t-il pour le domaine public, ou une licence libérale à la BSD. Souhaite-t-il plutôt que les intermédiaires qui bénéficient de ces libertés les partagent aussi avec autrui, mais puissent quand même en garder pour eux seuls le bénéfice économique? Alors il optera sans doute pour une licence copyleft à la GPL. Ou bien souhaite-t-il que les libertés qu’il accorde, pour la création comme pour son économie, soient exercées au bénéfice des autres, et non pas à leur détriment? Souhaite-t-il que l’ouverture des sources et la solidarité créatrice s’accompagnent de l’ouverture des comptes et de la solidarité économique? Alors il pourra opter pour une licence équitable, la licence IANG.

On dit parfois de certains auteurs qu’ils ont un don. Diffuser sa création sous licence libre, ce n’est pas seulement avoir un don, c’est faire un don. Mais pour que la création et son économie conservent jusqu’au bout leur caractère de don, encore faut-il que la licence y veille.

Q Pensez-vous que cette licence peut être viable pour un logiciel libre commercialisé ? La licence implique en effet de mettre en ligne toutes les données financière du projet, des bénéfices mais aussi de l’exploitation faite des bénéfices (Art. 5 et suivants), comment préconiseriez-vous à un développeur désirant commercialiser un logiciel libre d’opter pour la licence IANG ?

La transparence économique est non seulement viable, mais elle est même déjà indispensable pour de nombreuses organisations. Les associations et les fondations sont tenues de publier leurs bilans et comptes de résultats. De nombreux projets libres (par exemple Mozilla, Wikipédia, GNOME) sont supportés par de telles organisations, et certaines publient leur comptabilité en ligne. Des sociétés commerciales, telles que les coopératives de consommation et les mutuelles, doivent aussi tenir leur comptes à disposition de leurs clients, qui peuvent les approuver ou les rejeter en assemblée générale. Le commerce n’est donc pas plus incompatible avec l’ouverture des comptes qu’avec l’ouverture des sources.

En fait, de la même façon qu’ouvrir les sources est bénéfique au développement logiciel, ouvrir les comptes et surtout impliquer les acheteurs et donateurs dans les choix économiques sera probablement très profitable du point de vue commercial. Ceux qui choisissent de payer pour un bien qu’ils peuvent déjà obtenir gratuitement (voir par exemple le succès des campagnes de don de Wikipédia) le feront d’autant plus volontiers qu’ils pourront non seulement connaître, mais aussi décider l’usage de leur contribution financière. La transparence, le partage, la coopération sont les moteurs du logiciel libre ; ils doivent aussi être ceux de leur économie.

Q L’utilisation de cette licence est-elle fondamentalement différente de celle prévue par les autres licences libres (copie de la licence dans les sources, phrases explicatives dans les codes, sur le site…)?

Il est bien sûr nécessaire d’informer l’utilisateur de ses droits (d’utilisation, reproduction, modification, distribution, information et participation) mais à la différence d’autres licences, il n’est pas obligatoire de joindre le texte de IANG à la création, car ce serait impraticable pour une création matérielle telle qu’une photo sur une carte postale. Il suffit donc de renvoyer à la licence, par exemple via une URL ou une adresse postale. On peut aussi apposer le logo IANG à la création, ce logo pouvant en effet être reproduit à la seule condition qu’il accompagne une création sous licence IANG.

À la différence d’une licence comme GPL qui permet de ne distribuer les sources qu’à ceux qui payent la distribution, IANG impose de distribuer les sources gratuitement (hors coût de transmission) à toute personne qui les demande, et pas seulement aux destinataires de la distribution.

Si la création est commercialisée, toute personne doit de même pouvoir accéder à la comptabilité.

Q Quel(s) est(sont) le(s) projet(s) actuel(s) ou futur(s) de IANG ? Est-il prévu de faire évoluer IANG, de manière à la rendre plus lisible, visible, reconnue par le grand public, les autres licences ?

Il y a de nombreux projets, bien plus que de temps pour les réaliser…

C’est pourquoi je préfère ne pas trop entrer dans les détails tant qu’ils ne sont pas concrétisés. Avant de faire de la propagande à destination du grand public, je souhaiterais d’abord mettre en place une distribution commerciale de quelques créations sous licence IANG afin de démontrer par l’exemple la validité du modèle. Je pense aussi développer des outils permettant de faciliter l’exercice de transparence et de participation requis par la licence.

Lorsqu’il s’agira de mettre IANG en avant, j’apprécierais une bande dessinée ou une petite animation explicative à la façon de Creative Commons. Il faudra aussi traduire la licence, et faire valider les traductions par des juristes car celles-ci devront avoir la même valeur légale quelle que soit la langue (à la différence de GPL où seule la version anglaise est valable).

Q Que conseillerez-vous à un développeur souhaitant mettre son soft sous licence libre ?

Chaque développeur peut avoir sa propre idée sur la meilleure façon de faire. Mais encore faut-il avoir pensé avant aux problèmes qui pourront se poser, notamment quand le développement devient collectif et qu’il s’agit de concilier la liberté des uns avec celle des autres. Le développeur voudra-t-il alors garder le contrôle, ou permettra-t-il aux contributeurs de participer aux choix de développement? La scission (ou «fork») est une menace qui pèse toujours sur un projet libre. Elle peut être légitime en cas de choix techniques divergents, mais lorsqu’elle résulte de conflits d’autorité, elle se traduit au mieux par une dispersion et une démotivation des contributeurs. Même si le développeur fait le choix de IANG et donc d’une gestion participative, il devra en spécifier clairement les modalités (par exemple les procédures de décision par consensus ou par vote) car la licence IANG ne définit qu’un cadre général qui doit être aménagé pour chaque projet particulier.

Q Dans quels cas, selon vous, devrait-on privilégier une licence libre à une licence propriétaire ? Et inversement ?

Il existe une autre possibilité, qui consiste à utiliser les deux à la fois. Certains logiciels bien connus (MySQL, Qt, Cygwin) utilisent ainsi une double licence (copyleft ou propriétaire) afin de faire payer les clients qui souhaitent intégrer le logiciel dans un produit à source fermée. Ce modèle ambivalent permet ainsi de bénéficier d’un côté des contributions de la communauté libre, et de l’autre du financement du monde propriétaire. Mais il est difficilement applicable aux logiciels destinés à l’utilisateur final. Le modèle de IANG est de ce point de vue bien plus cohérent, car aussi bien le développement de la création que le financement de son économie sont basés sur les mêmes principes d’ouverture et de solidarité.

Sur le plan économique, du point de vue d’un acheteur, les licences dites libres sont absolument identiques aux licences propriétaires. La seule différence est que les premières donnent tout pouvoir aux éditeurs, y compris celui de ne pas rétribuer les auteurs, alors que les dernières donnent tout pouvoir aux auteurs, ou plus exactement aux détenteurs des droits, ce qui peut avoir des conséquences dramatiques si la création est par exemple une semence brevetée ou un médicament.

Q Si vous deviez développer un soft aujourd’hui, sous quelle licence le distribueriez-vous ?

Pour un simple script de quelques lignes : le domaine public. Pour une bibliothèque d’accès à un format de fichier ou un protocole de communication destiné à être largement utilisé y compris par les logiciels propriétaires : une licence permissive non copyleft. Pour tous les autres cas : la licence IANG!